L’accueil fait aux 141-R en France

Auteur :  Clive Lamming

Le mot « accueil » est en dessous de la réalité. Surnommées « Miss Libération » ou « Miss Liberté » ou encore « Miss Désirée » par les cheminots et le grand public, ces locomotives deviennent rapidement mythiques.

Et pourtant, l’arrivée des « R » sur le territoire français est compliqué, car elle sont loin d’être livrées dans leur ordre numérique : c’est-à-dire en commençant par 141-R-1 et en finissant par 121-R-1340. 

Les bateaux transportent ce que les différents constructeurs américains ou canadiens leur présentent sur les quais des ports. Les locomotives sont chargées sur les bateaux disponibles, souvent après une longue attente ; et à l’arrivée, elles sont réparties entre les régions et les dépôts en fonction des urgences et des besoins. Les premières 141-R roulant sur le sol français sont les 141-R-458 et 141-R-468, puis les 141-R-217 à 141-R-237. Les locomotives 141-R-1 à 141-R-100 n’arriveront que plus tard.  

Une vue époustouflante d’un navire, le « Belpareil », arrivant à Cherbourg en juin 1946 avec pas moins de 40 locomotives et 40 tenders posés sur le pont, soit une charge de 7 640 tonnes ! On notera que cette charge, qui n’est pas dans la cale, compromet dangereusement la stabilité du navire.  © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Collection Trainsconsultant-Lamming

Le réseau de la région Est a souffert le plus de la guerre et des « ponctions » allemandes, c’est pourquoi il est prioritaire. Puis la SNCF sert les régions Nord puis Sud-Est. À la fin de 1946, soit 6 mois après l’arrivée de la première 141-R-458 à Marseille, le rythme est de 75 locomotives par mois. Notons que la 141-R-2 est mise de côté jusqu’en 1948 pour servir au dessin des plans de la SNCF : la 141-R-252 ira faire un long stage sur le banc d’essais des ateliers de Vitry avant de se retrouver au dépôt de Villeneuve-St-Georges. 

La locomotive 141-R-1187, préservée actuellement, et vue en 1975 en « tenue de sortie » (avec jantes blanches), et en tête d’un train d’amateurs composé de voitures OCEM.  © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Collection Trainsconsultant-Lamming

Les premiers tours de roue

Les « premières sorties en ligne » se font rapidement, après l’arrivée dans le dépôt, pendant une période de rodage qui n’excède pas une semaine ou deux. Il est à noter que, contrairement aux locomotives classiques dotées d’une équipe titulaire s’occupant intégralement de « leur » locomotive, les passages en atelier des 141-R, locomotives conduites et entretenues en « banalité intégrale », sont confiés au personnel de l’atelier.

La « banalité intégrale » associée à la capacité de « faire » toutes sortes de trains permettra aux 141-R de battre rapidement des records de productivité. Le « coefficient d’utilisation des machines » est de l’ordre du double des machines classiques, avec jusqu’à 190 km par jour au dépôt du Bourget, ou même jusqu’à 260 km au dépôt de Badan. 

Locomotive type 141 N°141-R-1187 vue en 1950. On notera que les quatre essieux moteurs ont des roues américaines Boxpok. © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Collection Trainsconsultant-Lamming

Locomotive type 141 N°141-R-1101 vue en 1950 et avec les mêmes caractéristiques. Seules les 1 à 700 et les 1 201 à 1 209 ont une chauffe et des tenders à charbon.  © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Collection Trainsconsultant-Lamming

Les 141-R-modifient le chemin de fer français

On peut penser que cette présence massive des « R », si elle a certes sauvé le chemin de fer français en le faisant renaître rapidement, a, par la pauvreté de ses performances, contribué à détériorer l’image de la traction vapeur. Les « R » étaient sympathiques, fiables, robustes, mais totalement dépassées par rapport à ce qui se faisait de mieux sur les réseaux européens ; elles ont toutefois apporté la conduite et la maintenance de l’avenir. Cette arrivée de la « banalité » des équipes de conduite, des parcours élevés pour les machines, d’un entretien à prix réduit ont ouvert la voie à une politique de traction totalement nouvelle et dont la SNCF ne se départira plus, quel que soit le mode de traction, et surtout en traction électrique.

AILLEURS, À LA MÊME ÉPOQUE

La « Stirling », reine des « Single drivers »

La locomotive anglaise à essieu moteur unique de la fin du xixe siècle est l’arbitre des élégances ferroviaires victoriennes. Elle est appelée « machine à roues libres », comme la célèbre Crampton avec son unique essieu moteur placé à l’arrière. Pour les auteurs anglais, ce genre de machine est une « single driver ». Le mot « driver » voulant dire « conducteur » mais aussi « roue motrice ». 

La machine à roues libres : pourquoi ?

Une locomotive à roues libres est une locomotive à un seul essieu moteur, donc sans roues couplées par bielles. Ce fut le cas de l’ensemble des toutes premières locomotives à vapeur rapides, comme la « Fusée » de Georges Stephenson de 1829, et les célèbres types 111 « Patentee » des années 1830 et 1840. 

La présence de roues couplées permet d’augmenter l’effort de traction et d’éviter les patinages au démarrage. C’est pourquoi, à partir du milieu du xixe siècle, les réseaux passent au type 120, 121, 220 pour les trains de voyageurs.

Mais les avantages de la locomotive à roues libres sont tels que, en Angleterre, certaines compagnies y reviennent vers la fin du xixe siècle. 

Locomotive à roues libres, dite « single driver » (un essieu moteur), typiquement anglaise et du Great Northern, vue en 1870. Très rapides mais ne pouvant tirer que des trains très légers, elles eurent un règne éphémère. Elles sont chassées par les locomotives à deux ou trois essieux moteurs avant la fin du xixe siècle. © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Collection Trainsconsultant-Lamming

Un brillant exemple : la « Stirling » N° 1 du Great Nothern Railway

Cette locomotive est la plus célèbre des « single drivers»  anglaises, mais aussi la plus élégante, avec ses deux grandes roues motrices centrales couvertes d’un couvre-roues ajouré la faisant ressembler à un bateau à roues. Patrick Stirling, directeur du réseau du Great Northern Railway, commande cette série de locomotives pour trains rapides en 1870, et la série de 47 machines qui suivra sera construite jusqu’en 1893. Très simple mécaniquement avec deux cylindres simple expansion, elle est capable de rouler à 120 km/h avec des charges surprenantes, comme des rames de 15 voitures à bogies – légères, il est vrai, du fait d’une caisse en bois et d’une longueur réduite. 

TOUTE UNE ÉPOQUE

Un magnifique train rapide lourd des années 1950. Les 141-R n’y accèderont pas tout de suite et la locomotive type Pacific, N°231-G-249 ex-PLM, transformée entre 1934 et 1936, reste pour quelques décennies encore la reine des trains de luxe. Ici un train de la CIWL, sans doute en route pour la Côte d’Azur.© IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Collection Trainsconsultant-Lamming

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